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emploient des métaphores sèches où l’image est strictement ajustée à l’idée. Elle est un peu comme le grand Homère, chez qui les images, tout en ayant rapport à l’idée, se développent largement pour elles-mêmes. Ainsi, bien que la couleur joue dans le monde un rôle déterminé, il n’est pas facile de dire, par exemple, pourquoi il y a du violet. Il se peut donc, à la rigueur, que les idées fondamentales exprimées par nos cinq sens puissent se figurer et se jouer en d’autres formes de sensation. Peut-être notre sensibilité, toute pénétrée de raison, est-elle assez pauvre de fantaisie, peut-être sommes-nous plus métaphysiciens qu’artistes. J’observe cependant qu’il y a, entre notre sensibilité et le milieu où nous vivons, des corrélations très nuancées et très fines. Avant que la lumière eût été étalée en un spectre continu, on pouvait très bien supposer que les sept couleurs connues de nous ne représentaient qu’une fraction infinitésimale des couleurs possibles. Or elles occupent tout le champ visible du spectre, et ce champ visible lui-même est une partie notable du spectre total. Si donc l’on supposait que les rayons calorifiques et les rayons chimiques du spectre peuvent fournir à d’autres sensibilités que la nôtre des sensations de couleur, les couleurs connues par nous représenteraient plus d’un tiers de la totalité des couleurs possibles. Mais il n’y a aucune raison d’admettre que la lumière et la chaleur ne sont point deux éléments essentiels du rayonnement solaire. Les vivants ne pourraient obtenir, dans le spectre, une zone colorée plus étendue qu’en diminuant d’autant la zone de chaleur. Il n’est point démontré que la ligne de partage entre la lumière et la chaleur soit fixée arbitrairement, dans le spectre, à une longueur d’onde déterminée. J’ai déjà rappelé que les rayons