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traire, d’imaginer que les êtres inconnus qui vivent loin de nous, dans les profondeurs insondables du ciel, sentent, au fond, l’univers et la vie, comme nous les sentons nous-mêmes ; car, s’il n’en était pas ainsi, en quoi, je vous prie, ferions-nous partie du même univers ? N’ont-ils donc pas, comme nous, l’idée de l’universel et le sentiment de l’individuel, et si la lumière exprime l’universel et son rapport à l’individuel, comment, ayant la même idée que nous de l’être, ne verraient-ils pas, comme nous, la lumière en qui l’être se manifeste ? Les sphères qui nous sont inaccessibles se révèlent à nos yeux par des points lumineux. Il y a donc, dans toutes ces sphères, le mouvement de l’éther qui correspond à la lumière. Et comme ce mouvement n’est point arbitraire et ne peut point se traduire en une sensation arbitraire, l’universalité du mouvement de lumière nous atteste l’universalité du sentiment de lumière. Nous voyons dans le regard de Dieu ; ce regard est immense, et tous les êtres voient en lui ; et, voyant tous en lui, ils voient de même. Est-ce que les cinq sens de l’homme sont les seuls sens possibles ? Il est bien difficile de l’affirmer. En fait, les cinq sens de l’homme suffisent au plein exercice de la pensée. Il n’y a pas une seule des idées essentielles de l’esprit humain, l’être, la permanence, la substance, le changement, le mouvement, la force, l’universel, l’individuel, l’aspiration, le désir, la joie, la quantité, qui ne puisse être illustrée par une sensation. Cela est vrai que l’empirisme a pu tenter, sans une absurdité palpable, de déduire nos idées fondamentales de l’expérience sensible. Les cinq sens forment donc un système défini et rationnel qui pourrait bien être complet. Il est vrai qu’il y a du jeu dans la nature. Elle n’est pas comme ces poètes trop exacts qui