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clos. Les principes de la raison ne sont pas en nombre illimité. L’unité de l’être peut apparaître, selon le point de vue où l’on est placé, sous la forme du principe de substance, du principe de causalité, ou du principe de finalité. Mais, comme tous ces points de vue s’enchaînent et s’ordonnent en un système saisissable, la raison ne peut être indéfiniment démembrée. Lorsque, comme nous, on fait de la sensation quelque chose de rationnel, et que l’on rapproche la sensibilité de l’entendement, il ne peut pas plus y avoir un nombre illimité de catégories de sensations qu’il n’y a un nombre illimité de catégories de l’entendement. Donc, quel que soit l’être vivant que l’on imagine, et si riche que l’on suppose sa sensibilité, il aura bientôt épuisé toutes les formes possibles de la sensation, et ce n’est point là pauvreté, car, ou bien les sensations contiennent une vérité, et la sensibilité, réduite à un certain nombre de sensations, n’est pas plus pauvre que ne l’est la raison réduite à un certain nombre de principes, ou bien les sensations ne sont qu’une fantaisie vaine de nos nerfs, et alors, collectionner des sensations inédites, serait aussi puéril et bientôt aussi fastidieux que collectionner des variétés inconnues de tulipes ou de dahlias. Il y a donc un système de sensations, et ce système doit être universellement vrai. Les êtres qui vivent dans les sphères les plus lointaines doivent avoir, au fond, les mêmes sensations que nous. J’en suis bien fâché pour ceux qui, dans ces conditions, trouveront l’univers monotone ; mais il faut plaindre les voyageurs qui ont besoin, pour trouver quelque variété dans le monde, de la bizarrerie des coutumes locales. Il restera toujours, pour ceux qui savent regarder avec l’âme, la diversité des nuances, des paysages, des physionomies. Il me plaît, au con-