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En créant la lumière, l’infini a voulu prendre possession de lui-même ; il a voulu, non pas être vu du dehors, mais se voir. La lumière n’est pas l’aliment inerte du regard ; elle est elle-même un regard, elle est, à la lettre, le regard de Dieu. Et si nous voyons par la lumière, c’est que, par elle, nous devenons une partie du regard divin. La lumière n’a pas été faite et comme fabriquée pour les yeux mortels et les âmes éphémères ; mais, étant le regard éternel, il y a place en elle naturellement pour tous les regards qui s’allument et s’éteignent. Étant une immense manifestation d’âme, il y a place en elle naturellement pour toutes les âmes, qui ne la cherchent point par hasard, qui ne la trouvent point par une rencontre extérieure et fortuite, mais qui vont à elle comme à une sœur.

Cette harmonie profonde, entrevue par nous entre l’être et la conscience, nous permet, sinon de résoudre, au moins de mieux poser la question suivante : Y a-t-il d’autres sens possibles que ceux que nous avons ? Dans la conception mécaniste, le nombre des sens possibles semble illimité. Toute sensation n’étant que le signe arbitraire d’un mouvement spécial, il semble qu’il puisse y avoir autant d’espèces distinctes de sensations que de formes distinctes du mouvement, et ces formes du mouvement n’étant pas des fonctions définies et intelligibles, mais des faits bruts, il peut toujours se produire des combinaisons nouvelles de mouvements et, par suite, des possibilités nouvelles de sensations. Au contraire, lorsque chaque espèce de sensation est considérée comme exprimant une vérité, le nombre de ces espèces de sensations est nécessairement limité, car les aspects essentiels de la réalité ne peuvent pas être en nombre indéfini. Qui dit vérité, dit organisation, système défini et