Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/209

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sensation de lumière qui ne ressemble en rien aux mouvements de l’éther. Mais enfin, cette lumière qui est en nous, elle n’est pas seulement un fait, elle est une vérité ; elle nous révèle, sous forme de transparence, l’unité de l’être, et l’amitié de l’être universel pour les formes individuelles qui se dessinent en lui. Elle répond donc à un besoin de vérité et de vie qui est dans les âmes. Et alors, nous demandons au mécaniste : comment se fait-il donc qu’il y ait précisément, dans le monde, des mouvements qui éveillent en nous le sentiment de la lumière ? Comment l’ordre mécanique répond-il à cet appétit de lumière qui est dans les âmes ? D’habitude les finalistes posent bien mal les questions. Ce qui les émerveille, par exemple, c’est, étant donnée la lumière, que l’œil soit construit de façon à la recueillir. Mais, en vérité, cela est très simple. Ce qui est étonnant, ou plutôt ce qui est merveilleux, c’est qu’il y ait de la lumière. C’est que l’éther illimité qui n’a pas reçu son mot d’ordre des vivants soit ébranlé de telle sorte qu’il apporte à ces vivants la lumière. Quand on cherche des harmonies et des adaptations entre la lumière et l’œil, on ne sort pas de la mécanique. Ce qui est divin, c’est qu’il y ait harmonie entre l’être et la conscience, et que celui-là fournisse en mouvement ce que celle-ci réclame en clarté. Qu’est-ce à dire ? C’est que l’opposition, ou même la distinction radicale de l’être et de la conscience, est arbitraire et vaine. C’est que l’effort de l’être est déjà un effort de conscience. Si l’être fournit la lumière à la conscience, c’est qu’il a déjà créé la lumière pour lui-même comme s’il était une conscience. La lumière est l’effort de l’infini pour se saisir et s’affirmer dans son unité, pour faire amitié avec lui-même par le rayonnement et la transparence.