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sation. Dès lors, quel est le sens de ce mot choc ? Ce n’est plus un sens matériel, il exprime certaines relations intelligibles de l’énergie interne des organismes vivants et des énergies variées du milieu qui les enveloppe. Nous ne sommes plus dans la physique, mais, qu’on le veuille ou non, en pleine métaphysique. Que sont en effet ces énergies des êtres vivants ? Ce ne sont point des énergies brutes. Elles sont comme pénétrées de besoin, d’instinct, de désir, d’aspiration. En un mot, elles sont de l’âme. Or, l’âme des vivants désire, ou bien communiquer avec les autres êtres individuels et de façons diverses, ou bien communiquer avec l’infini et l’universel.

De là des ordres de sensations qui peuvent être radicalement distincts. Il est tout à fait arbitraire et faux de les ramener tous à l’idée du choc, car le choc n’est guère qu’un phénomène mécanique et il implique ou tout au moins il n’exclut pas la passivité de l’organisme en contact avec les énergies extérieures. Or, dans ses rapports avec le monde, l’être vivant est actif ; par exemple, presque tous les vivants, depuis la plante et l’hydre verte, jusqu’au papillon et à l’enfant, cherchent la lumière. Et il est probable que c’est en cherchant la lumière que les vivants l’ont trouvée, je veux dire qu’ils en ont développé en eux le sens et l’organe. Il y a donc au fond de la vie comme un appétit de la lumière, et si on la représente inerte, passive, attendant sans désir le choc de l’éther lumineux, on la dénature. De plus, le choc implique une sorte de distinction brutale entre l’organisme affecté et l’agent extérieur qui l’affecte. Or s’il y a un ordre de sensation, celui du toucher, où l’être vivant s’oppose à tout ce qui n’est pas lui, il en est d’autres, au contraire, comme l’ouïe, la vue, où l’âme