Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/202

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grandissant, aller jusqu’à la souffrance. De même, le rapport du diamètre à la circonférence est incommensurable ; cela n’empêche point la forme idéale du cercle d’avoir une détermination si exacte et si harmonieuse qu’elle est voisine de la beauté. Lorsque les pythagoriciens attribuaient des vertus merveilleuses de proportion, de beauté, d’harmonie à certains nombres, ils versaient dans ces nombres, à leur insu, la beauté des sensations, des accords musicaux auxquels ils correspondaient. Et à vrai dire, nous ne considérons pas les nombres et leurs rapports comme d’insignifiantes abstractions, mais comme de vivantes harmonies ; mais nous disons que ces harmonies secrètes et profondes des nombres sont surtout manifestées dans la beauté des sensations, des sons, des couleurs, des lignes. C’est donc dans les sensations, bien plus encore que dans les mouvements, que la forme apparaît. Et puisqu’il est impossible, comme nous l’avons montré, de supprimer entre toutes les formes du mouvement les différences spécifiques, à plus forte raison sera-t-il impossible de les supprimer entre les différentes formes de sensations.

Herbert Spencer a tenté de ramener toutes les catégories de sensations, le son, la lumière, la chaleur, la résistance, à un élément fondamental commun dont elles ne seraient que des différenciations. Cet élément fondamental est ce qu’il appelle le choc, c’est-à-dire la rencontre de deux énergies, l’une interne, l’autre externe, qui se contrarient d’abord et qui se mettent ensuite à l’unisson par une communication prolongée. Cette hypothèse a l’air tout d’abord d’être conforme à l’hypothèse générale de l’évolution selon Spencer ; et en effet, elle en a l’allure ; c’est toujours le passage de l’homogène confus à l’hétérogène. Mais en fait, cette hypo-