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tout de la forêt, la fraîcheur, le silence et les parfums, tout, sauf la forêt elle-même, car la forêt aussi est une architecture, et aussi le ciel étoilé. Lorsque Buffon disait des astres qu’ils étaient les pierres mouvantes de l’architecture des cieux, l’image n’était pas seulement grandiose, mais exacte ; c’est selon des courbes définies que les astres se meuvent, quoique aucune formule de calcul ne puisse, peut-être, épuiser la loi de ces courbes. Il apparaît par là, justement, que la précision n’est pas sécheresse, car l’orbite suivi par tout astre, étant déterminé par des actions et réactions venant de l’infini, est, en un sens, l’expression géométrique de l’infini. Il y a donc de l’infini dans la géométrique, et du rêve flottant dans la précision des formes. Ce n’est donc pas la peine que l’homme, pour retrouver la liberté de son âme et de son rêve, sorte de toute forme définie, de tout système arrêté, et répudie l’espace où se développent les formes et les systèmes. Il n’a pas besoin de s’égarer hors de toute demeure résistante, car l’infini n’est pas une maison rigide, mais bien, selon le mot de Buffon, une architecture mouvante. Et c’est précisément parce que l’étendue infinie de l’univers, permettant des actions et des réactions infinies, exprime et concentre l’infini dans chacune des formes finies, qu’il y a dans le monde pénétration et fusion de l’infini et du mathématique, du rêve et de la forme. Or, c’est la quantité qui permet le développement des formes, et qui verse en même temps, dans chacune de ces formes, une sorte d’infinité. C’est donc se tromper gravement que de répudier l’espace au nom de la liberté du moi. L’âme ne se sent jamais plus libre et plus intérieure à elle-même que lorsqu’elle s’élève vraiment, dans toutes ses pensées et dans tous ses actes, au sentiment de l’infini ; et, pour démontrer