Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/191

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nourriture, soit pour se tourner vers la lumière. Il sent qu’il y a de l’être qui n’est pas son être, mais avec quoi son être peut communiquer. C’est là, à proprement parler, le sens de l’extériorité de l’espace. Ainsi, c’est nous qui retrouvons l’espace et la quantité tout au fond de la nature première, des premières aspirations, des premiers tressaillements de la vie. Et, ce qui montre bien que l’espace, dans son homogénéité absolue, n’est pas contraire à l’originalité de la vie intérieure, c’est que le sentiment du moi se développe et se précise dans les êtres à mesure que se développe et se précise pour eux l’extériorité de l’espace. Les êtres inférieurs qui ne discernent pas clairement le dehors, disent à peine moi ; l’homme, au contraire, qui perçoit si bien l’extériorité absolue de l’espace profond, dit très nettement moi. Bien mieux : l’homme n’a jamais aussi pleinement l’orgueil de la vie intérieure que devant les grands horizons ; il sent qu’il est lui et qu’il n’est pas l’espace ; mais aussi que, dans l’espace, sa pensée peut rayonner et qu’il peut soumettre l’indéterminé, l’illimité à la forme de son rêve.

Oh oui ! que Dieu nous sauve du bavardage vulgaire, de la tyrannie des mots qui déforment notre pensée et notre vie. Notre âme n’est pas une de ces sources banales dont on capte l’eau dans des milliers de bouteilles identiques. Il est bon souvent de faire en soi le silence afin de s’écouter soi-même, et de n’être plus dans le monde comme dans ces foules où l’on ne sait plus au juste si le mot qu’on vient de dire n’a pas été dit par le voisin. Mais quel silence voulez-vous dire ? Est-ce le silence des bruits du dehors et de la parole banale, ou bien le silence même de cette parole intérieure qui se confond presque avec notre pensée ? Il y a une merveilleuse page