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autre avec les mouvements moléculaires de la matière où la lumière rouge s’incorpore ; aussi le rouge n’est-il pas une couleur idéale et subtile, mais c’est, si je puis dire, la plus étoffée des couleurs, celle en qui l’on sent le mieux un commencement de brutalité matérielle. Le rouge est donc, en un sens, la couleur fondamentale, celle qui, reposant le plus solidement sur la matière, peut servir, en quelque sorte, de base aux autres. De même, les sons graves étant les plus lents intéressent, si l’on peut dire, une plus grande quantité de mouvements organiques. Tous les mouvements de la vie en nous ont leur contre-coup dans la substance cérébrale : le corps tout entier s’y résume avec tous ses rythmes secrets. Ainsi, dans la substance cérébrale, les sons les plus graves s’accordent avec un plus grand nombre de mouvements préexistants : ils paraîtront, dès lors, reposer sur une base de vie plus large. Comme dans l’évolution de la vie le système nerveux ne s’est développé qu’assez tard, les sensations n’agissaient d’abord sur les organismes qu’à l’état diffus. Avant d’entendre par l’oreille, les êtres ont dû entendre par le corps tout entier : ils ont dû percevoir d’abord les grands bruits sourds de la mer ou de la foudre et confondre leur première perception vague du son avec l’ébranlement total de leur masse. Je crois donc que c’est par les graves que les êtres ont débuté dans l’échelle des sons. Aujourd’hui encore, ce n’est pas en criant des notes aiguës qu’on se fait entendre le mieux de ceux qui commencent à devenir sourds, mais, au contraire, en émettant avec une certaine force des notes graves ou moyennes. Ce qui donne quelque chose de puissant au roulement sourd du tambour, c’est qu’il semble que nous ne l’entendons pas seulement avec nos