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de la sensation à l’espace, et, pour la psychophysique, la quantité étant directement observable dans la sensation, l’espace n’est plus qu’une doublure inutile. La réalité que nous nous bornons à constater avec le sens commun est beaucoup plus riche et subtile que tous les systèmes. La quantité pénètre dans la qualité et se mêle à elle : elle est donc immédiatement perceptible à la conscience. Mais, quoiqu’elle devienne dans la sensation un élément de vie, elle n’en reste pas moins la quantité, c’est-à-dire une idée distincte. Elle doit donc exister et se manifester de deux façons : comme quantité fondue dans la qualité et comme quantité distincte. Ainsi, la quantité, présente dans la sensation, et constituant l’essence même de l’espace, relie la sensation à l’espace. Et le point de contact, c’est le mouvement où la quantité a encore une forme, c’est-à-dire une qualité, mais une forme qui, pouvant se résoudre en rapports de quantité, n’empêche pas la quantité pure d’apparaître et d’être mesurable.

M. Bergson a montré, avec une merveilleuse finesse, que nous établissions entre certaines qualités de nos sensations, le grave ou l’aigu des sons, par exemple, et l’espace, des relations subtiles de position ! Ainsi, les sons aigus nous apparaissent comme élevés, les sons graves comme bas : nous construisons, par la pensée, une échelle ascendante et descendante des sons ou, plutôt, c’est une pyramide dont la base pesante et large serait constituée par les sons graves et donc le sommet serait formé par les sons aigus. D’instinct, le chanteur situe les sons à des hauteurs diverses ; pour les sons graves, il se tasse, en quelque sorte, sur lui-même, et il se hausse parfois sur la pointe des pieds comme pour suivre les sons plus élevés et plus légers qui semblent