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raisonne dans la quantité : il en est enveloppé, il en est imprégné ; il lui dispute l’esprit par morceaux, opération par opération, ce qui implique toujours un cercle vicieux. Il faudrait d’abord arracher le moi tout entier à la quantité ; mais s’imaginer qu’on peut procéder ainsi par épuisement, éliminer la quantité peu à peu, fonction par fonction, de l’esprit, c’est s’imaginer qu’on supprime l’atmosphère en faisant le vide sous une cloche : on a déplacé l’air, voilà tout.

Au demeurant, nous ne sommes nullement tenus à prendre parti pour la psychophysique. Ce que nous défendions en elle contre M. Bergson, c’est seulement cette idée première qu’il y a de la quantité dans la sensation. Nous n’accordons pas pour cela, nécessairement, que cette quantité soit susceptible de mesure comme la quantité extensive. M. Bergson veut nous enfermer dans ce dilemme : Ou bien vous reconnaîtrez avec moi que l’intensité présumée des états de conscience est une illusion, ou bien, admettant, avec la psychophysique, qu’il y a de la quantité dans les sensations, vous serez logiques comme elle, et vous déclarerez que cette quantité est directement mesurable. Car, qu’est-ce qu’une quantité qui n’est pas susceptible de mesure ?

Il nous est possible d’échapper à cette alternative. Nous avons vu, en effet, que la quantité, en pénétrant dans la qualité, n’y était pas et n’y pouvait pas être un élément indifférent et inerte. Toutes les forces soutenant entre elles des rapports de quantité, il n’est pas possible de modifier ce rapport sans modifier, dans une certaine mesure, l’intérieur même des forces. Ainsi, une lumière pâle a nécessairement quelque chose de triste, car elle ne laisse pas chaque individualité à elle-même, et en même temps elle n’enveloppe pas toutes les indi-