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idéalement et essentiellement soumises à la loi de continuité, c’est-à-dire à la quantité. S’il n’en était pas ainsi, les sensations distribuées entre A et C formeraient une série absolument fortuite. S’il n’y a d’une sensation à une autre que des différences de qualité, pourquoi intercaler entre deux sensations tels états intermédiaires plutôt que tels autres ? Pour aller de A à B, nous passerons par des états intermédiaires réglés purement et simplement par l’ordre chronologique. Telle nuance, en fait, viendra après telle autre, comme tel événement vient après tel autre, et voilà tout. M. Bergson démontre ailleurs qu’aucune multiplicité ne peut prendre l’aspect du nombre sans l’intervention de l’espace, c’est-à-dire de la quantité continue. Lors donc qu’il prétend que si nous croyons percevoir des différences d’intensité lumineuse, c’est que nous nombrons les sauts de sensation par lesquels on passe d’une intensité à une autre, il suppose déjà la sensation soumise à la loi de la quantité continue. Il est donc tenu, pour démontrer que nous n’avons pas le sens de l’intensité, à démontrer, d’une façon générale et métaphysique, que la quantité est étrangère à la sensation, extérieure à la conscience. Aucune analyse de détail, aucune discussion partielle ne pourra l’établir, car la forme de la quantité s’est, en fait, imposée au moi, et, dans tous les efforts que fait M. Bergson pour éluder la quantité, il la suppose en secret. Si l’on voulait démontrer que l’homme peut vivre sans oxygène, il ne servirait à rien d’analyser avec une merveilleuse finesse toutes les fonctions de sa vie, car toutes ces fonctions, directement ou indirectement, s’accomplissent dans l’oxygène ; il faudrait le transporter, d’un coup et tout entier, hors de l’oxygène. Or, c’est là ce que M. Bergson ne fait pas. Quoi qu’il fasse, il