Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/176

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout cela n’est pas un éclairage très régulier où l’on puisse nombrer, comme dans un salon, des foyers lumineux identiques. Et si la forêt était lumineuse, pâle ou sombre, c’est que le regard des hommes jugeait directement du degré de la lumière : il n’y avait pas, sous les grands arbres, de domestiques galonnés, sachant au juste combien de bouts de bougies ils pourraient vendre le matin.

De même, quand la foudre gronde, plus ou moins intense, où est donc pour nous, dans l’ordre physique, la mesure de son intensité ? Enfin, pour les parfums, il n’y a aucune valeur extérieure, appréciable pour nous, qui puisse nous faire juger s’ils sont plus ou moins intenses. D’innombrables roses artificielles, mêlées de quelques roses naturelles, n’exhaleront point le parfum qu’attendent nos yeux.

C’est en vain que M. Bergson réfute ou essaie de réfuter la psychophysique. D’abord, dans sa réfutation même, il admet la présence de la quantité dans la sensation. En effet, si, d’après lui, nous pouvons, dans les expériences de M. Delbœuf, décider que le contraste entre la nuance de gris A et la nuance de gris B est égale au contraste entre la nuance B et la nuance C, c’est qu’il n’y a pas continuité dans le développement de nos sensations, comme dans le développement de leurs causes extérieures. Il s’empare de cette loi posée par la psychophysique, que des états de conscience discontinus correspondent à des excitations continues. Il y a des sauts brusques d’un état de sensation à l’état immédiatement voisin. Dès lors, quand nous jugeons que le contraste de A à B est égal au contraste de B à C, c’est que nous intercalons par la pensée, entre A et B, le même nombre de sauts sensationnels qu’entre B et C. Soit ;