Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/175

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cinq bougies survivantes ont gardé le même éclat. Il nous faut donc nous prononcer directement sur l’intensité de nos sensations lumineuses. Mais ne philosophons pas à la chandelle : les hommes primitifs ne devaient guère connaître l’éclairage artificiel ; c’est le soleil seulement qui les éclairait. Or, comment pouvaient-ils juger qu’il y avait des diminutions de lumière en se référant à la cause physique ? Le soleil n’est pas un lustre où l’on puisse voir des bougies s’éteindre ou se rallumer. Quand le soleil était voilé par des nuages ou flétri par une brume imperceptible, quelle autre ressource que leur sensation même les hommes avaient-ils pour décider que la lumière était moindre ? Il n’est pas évident a priori que l’interposition d’un nuage doive amoindrir l’éclat de la lumière ; il pourrait se faire qu’en s’y réfléchissant, ou en le traversant, elle s’y animât au contraire. Il n’y avait donc point de théorie physique qui pût avertir les hommes des variations d’éclat du jour. Et quand le soleil s’était couché, la lumière décroissait par degrés du crépuscule à la nuit ; elle se prolongeait longtemps encore pendant les jours d’été, s’éteignait presque tout de suite dans les jours d’hiver. Il n’y avait rien pourtant, dans l’ordre physique, qui pût avertir les hommes que la lumière baissait. Pourquoi, le soleil à peine descendu sous l’horizon, ce crépuscule lumineux qui est encore le jour ne se serait-il pas indéfiniment continué ?

Et lorsque les hommes eurent inventé le feu, quand ils surent tirer la flamme des branches sèches ou résineuses, quel est donc le phénomène physique par lequel ils pouvaient mesurer l’intensité de la lumière produite ? Les branches sèches ou pénétrées d’essences, les feuilles sèches, les troncs d’arbres allumés pour les grands feux,