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d’abord, et c’est ce que M. Bergson n’explique jamais, comment cette confusion est possible : par quelles lois de l’esprit un changement de qualité étant lié, comme le conséquent à l’antécédent, à un changement de quantité, prend-il pour notre conscience l’aspect d’un changement de quantité ? Un coup léger frappé à ma porte signifie telle chose, un coup plus fort en signifie une autre : est-ce que les sentiments que j’éprouverai emprunteront leur intensité à l’intensité du coup frappé à ma porte ? Si nous pouvions percevoir isolément la cause physique de la sensation et la sensation elle-même, il y aurait, entre ces deux perceptions, consécution ; mais on ne voit pas du tout pourquoi de l’une la quantité passerait à l’autre. Il ne suffit pas d’invoquer l’habitude, car nous demandons précisément comment le passage a pu s’opérer une première fois. Mais, en fait, nous ne percevons pas la cause physique de la sensation indépendamment de la sensation elle-même. Cela est vrai, même du son, quoique, à la rigueur, l’œil puisse percevoir l’ébranlement initial qui agira sur l’oreille. Mais ni la vigueur du coup frappé sur un objet, ni même les vibrations apparentes de cet objet, ne peuvent nous renseigner sur la puissance de son qu’il émet. Donc, même ici, la cause physique réelle de la sensation nous échappe. Ce ne peut donc pas être l’intensité de la cause physique qui se communique par une sorte de contagion à la sensation : c’est la sensation, au contraire, qui, par son intensité, nous avertit de l’intensité de la cause physique. On laisse tomber sur le pavé une énorme balle de laine et une petite assiette d’étain ; il se peut que la balle de laine ne fasse aucun bruit et que la petite assiette d’étain en fasse beaucoup. Vous n’avez pu discerner l’ébranlement de l’air ni dans un cas ni