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faut par la tension croissante de ses muscles. Ainsi, ce n’est pas le sentiment d’efforts musculaires nouveaux qui détermine en nous l’illusion de l’effort plus intense : c’est le sentiment d’une énergie disponible plus grande qui met en jeu successivement les différents muscles. Ainsi, l’énergie préexiste à tel ou tel mode spécial d’action qui l’exprime ; c’est la quantité qui préexiste ici à la qualité. De plus, ce qui donne de l’unité, et en fait et pour la conscience, aux efforts musculaires distincts qui concourent à un même but, c’est l’idée de ce but. Il faut donc que l’énergie, en même temps qu’elle s’exerce par des moyens divers, soit ramenée à une certaine unité de direction et de forme par la conscience. Voilà comment le sentiment de l’effort n’est pas simplement musculaire ; il est aussi psychique. M. Fouillée l’a très ingénieusement et très fortement démontré dans une étude sur le sens de l’effort. Tout ce qu’on peut ajouter à son analyse, c’est que M. Bergson, en supprimant dans l’effort l’intensité, la quantité, supprime, en réalité, le sens de l’effort. En effet, si la conscience ne coordonne pas en vue d’un but des efforts musculaires spécifiquement distincts, il y a activité spontanée et dispersée, il n’y a pas effort. Et, si elle les coordonne, ce ne peut être qu’en percevant, sous tous ces déploiements musculaires distincts, une énergie commune, et en soumettant cette énergie à l’idée du but. L’acte à accomplir est en quelque sorte la résultante de tous les efforts à exercer, et il faut que la conscience soumette tous ces efforts à cette résultante commune. Ainsi, bien loin que l’effort musculaire échappe à la quantité, on peut dire, en un sens, que l’énergie interne de la volonté résout en toute action un problème de mécanique. En tout cas, la doctrine de M. Bergson met le moi hors de