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ne pas reconnaître la quantité même dans les phénomènes les plus extérieurs, qui, se produisant dans l’espace et émanant de foyers que l’on peut compter, semblent naturellement soumis à la quantité et au nombre. L’effort musculaire est comme le point de passage du dedans au dehors.

Ici encore, M. Bergson conclut, de ce que tout changement de quantité dans l’effort musculaire s’accompagne d’un changement de qualité, qu’il n’y a pas, en effet, d’intensité dans l’effort musculaire. Il semble bien qu’un effort plus grand pour serrer un objet, par exemple, intéresse, en effet, plus de muscles qu’un effort léger, et autrement. Si je veux presser à peine, il n’y a guère que les muscles des doigts qui fassent effort ; je veux presser plus fort, les muscles de la main entrent en jeu ; plus fort encore, ceux du bras ; et enfin, pour un effort extrême, il y a comme une tension musculaire du corps tout entier. Sans doute ; mais est-ce que cette addition d’un effort, musculaire à un autre effort musculaire n’implique pas la quantité ? est-ce qu’il y a simplement addition de sensations musculaires hétérogènes ? est-ce que tous les muscles ne concourent pas à un effort commun ? est-ce qu’ils n’apportent pas, chacun avec sa contraction, sa masse et sa tonalité propre, une certaine somme d’énergies ? Pourquoi, lorsque j’essaie d’écraser une noix avec les doigts, et que je n’y réussis point, les muscles de la main et du bras entrent-ils en jeu ? Parce que j’ai le sentiment d’une résistance supérieure à une partie de ma force, et que j’appelle des forces de réserve. Il n’y a pas là, je le crois, un raisonnement réfléchi, mais un mouvement instinctif ; l’être sent en lui-même, à l’état de repos, une vague disponibilité de forces, et il l’apporte où il