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là un véritable accroissement ? Chacune des puissances de notre âme a absorbé, si l’on peut dire, une certaine quantité d’énergie, et, en entrant dans la tristesse elle y verse, si l’on peut dire, cette énergie. Assurément, elle ne s’ajoute pas à la tristesse préexistante comme un élément homogène à un élément homogène ; les énergies diverses de notre âme gardent, au moins partiellement, leur forme dans la commune pénombre où elles sont entrées ; mais cela ne les empêche point d’ajouter une certaine quantité à l’effet total. Oui, toute tristesse comme aussi toute joie est un concert de tristesses ou de joies, et j’accorde bien que chaque instrument nouveau modifie la qualité de l’ensemble, mais il en modifie aussi l’intensité. Dans les combinaisons chimiques, les éléments gardent, en partie au moins, leurs qualités spécifiques, et c’est précisément pour cela que le composé ne ressemble pas à l’un quelconque des composants ; mais, en même temps, chacun des éléments apporte dans la combinaison la quantité d’énergies, de chaleur latente qu’il enveloppe, et, dans la force d’explosion de l’ensemble, par exemple, cette quantité se retrouve. Il y a dans la doctrine de M. Bergson, malgré toute son ingéniosité, un cercle vicieux. Oui, si chacun des états de notre âme est purement qualitatif, si l’amour du pouvoir ou de la fortune, ou de la gloire, ou de la pensée, ou de l’action est en nous une qualité pure sans quantité, je ne sais quelle forme idéale, il est certain qu’en ajoutant dans notre âme forme à forme, état à état, on n’obtiendra qu’une forme, un état, une qualité pure sans quantité. Mais c’est là précisément le problème, et il faudrait démontrer que chacune des formes de notre être intérieur n’enveloppe point, en effet, de l’être, une certaine