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même ; elle ne lui est pas surajoutée ; elle en est une condition interne.

De plus, les différents ordres de sensations ne s’exercent pas dans l’abstrait, dans le vide. La fonction de la lumière, par exemple, est d’affirmer l’universelle identité et transparence de l’être, mais de l’affirmer pour tous les centres particuliers de conscience qui sont dans le monde. Or cette rencontre des forces et de la lumière n’est pas inerte et superficielle ; la lumière agit sur les forces et les forces agissent en s’y exprimant sur la lumière. Ainsi toute force, toute âme est un foyer original de clarté, et, pour qui sait bien voir, le monde des forces et des âmes est une prodigieuse et fourmillante constellation. Or, comme toutes ces individualités se manifestent dans la lumière, c’est-à-dire dans l’universel, elles entreraient et se perdraient comme éléments dans un total indistinct, si la quantité extensive n’assurait pas à chacune une région définie de l’être, correspondant à la portion d’être intérieur que chacune a organisée selon sa forme ; si elle ne faisait pas de tous les foyers intérieurs distincts autant de foyers extérieurs distincts.

Ainsi l’étendue manifeste à la fois l’essence même de la sensation en son universalité, et l’individualité des forces qui déterminent et particularisent l’essence de la sensation. La lumière, la chaleur, le son, sont comme je l’ai montré, des fonctions éternelles de l’univers. Sans doute, pour se manifester, la lumière a besoin de foyers matériels particuliers, qui la distribuent ; mais elle préexiste, au moins idéalement, à ces foyers. De même le son étant la communication et comme la pénétration rythmique des forces, suppose l’existence de forces individuelles, de centres de vibration. Mais pour-