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mêlé au blanc ou d’en être séparé ; il peut très bien ou être séparé du blanc et rester le rouge, ou se mêler au blanc et se transformer en rose. Il faut donc, pour démêler ou pour mêler les sensations dans la conscience, un autre principe que la qualité même des sensations. Or, lorsque deux sensations qui, par leurs qualités, ne répugneraient pas à une fusion, sont distinctes pour la conscience, elles se distinguent par autre chose que par leurs qualités, c’est-à-dire qu’elles occupent pour la conscience deux parties de l’être différentes. Mais qu’est-ce donc que cette autre chose qui n’est pas la qualité et qui est nécessaire à distinguer les sensations les unes des autres, si ce n’est la quantité et la quantité extensive ? Qu’est-ce que ces régions de l’être par où se distinguent les sensations juxtaposées, si ce n’est l’étendue ? Donc, si l’étendue n’était pas immédiatement présente à la sensation, jamais on ne pourrait passer de la sensation à l’étendue. Les sensations diverses ou se confondraient ou se distingueraient sans raison. Si vous supprimez des sensations la quantité extensive, vous y introduisez du coup l’arbitraire absolu, c’est-à-dire le néant.

L’essence même de la sensation implique l’étendue. Chaque ordre de sensation a une essence distincte ; il représente une fonction définie de l’ordre universel, une idée. La lumière est la manifestation de l’universelle identité ; le son est la communication intime des forces ; les couleurs sont les combinaisons diverses et définies du clair et de l’obscur dans la matière pesante. Or, le propre de toute essence, c’est de pouvoir se manifester en des façons diverses et à des degrés divers. Précisément parce que la lumière n’est pas un fait brut que l’on puisse peser dans les balances du monde,