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extérieure, nous en serons sans doute avertis par bien des signes : il y aura comme une perpétuelle velléité de divorce entre la sensation et la quantité. Au contraire, si la quantité nous apparaît comme intérieure à la sensation, il y aura bien des chances pour que la quantité soit intérieure aussi aux forces mêmes que la sensation manifeste. Car, pourquoi, s’il n’y a aucune pénétration de la quantité et de la force, si l’être secret des choses n’enveloppe pas la quantité, pourquoi la sensation où cet être secret s’exprime apparaîtrait-elle, en fait et en droit, inséparable de la quantité ? La critique de la sensation va donc ici au fond des choses.

La quantité semble être dans la sensation de deux manières : comme quantité extensive et comme quantité intensive. Toute sensation est située pour nous dans l’étendue et elle occupe une portion de l’étendue, soit en volume, soit tout au moins en surface. Voilà la quantité extensive. Toute sensation a ou paraît avoir un degré : un son est plus ou moins fort, une couleur est plus ou moins vive. Voilà la quantité intensive.

Il est difficile de savoir si personne a jamais prétendu que la sensation n’impliquait pas l’extension. Il y a bien eu dans la psychologie allemande, avec Lotze et Wundt notamment, quelques tentatives pour dépouiller la sensation de tout caractère extensif. Et, à vrai dire, comme on peut faire décroître indéfiniment l’étendue d’une sensation, par exemple, une surface bleue, sans altérer la nature, la qualité propre de cette sensation, on peut bien, par une abstraction de l’esprit, ramener un moment la sensation à la qualité pure et à l’inextensif. Lotze et Wundt se sont certainement proposé davantage ; mais je ne sais rien de plus équivoque