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souveraine et législatrice de l’esprit. Dès lors, à des différences purement quantitatives de vitesse, peuvent correspondre soit des états internes des forces qualitativement distincts, soit des fonctions distinctes aussi de la pensée. Je ne m’étonne plus qu’une légère différence dans la vitesse des vibrations nous fasse passer de la chaleur à la lumière. Entre deux colonnes qui vont à l’assaut presque du même pas, le regard du chef peut discerner certaines différences, ou d’ardeur contenue ou de défaillance commençante, et il suffit d’une imperceptible nuance d’attitude, d’un degré presque insaisissable dans l’élan pour révéler l’âme, ou généreuse, ou ébranlée. De même, qui dira pourquoi, de deux strophes de même coupe et de même rythme, l’une est pesante et l’autre ailée ? il suffit quelquefois du tressaillement presque insensible de quelques mots pour enlever toute une stance. Les mathématiques, avec la quantité, le nombre, la mesure, sont en quelque sorte la prosodie de l’univers ; la poésie, c’est-à-dire la vérité, est ailleurs. Dès lors, encore une fois, il n’est rien d’étonnant que des espèces de sensations, radicalement distinctes, puissent être figurées par des modes et des rythmes de mouvements très voisins en apparence.

Chaque espèce de sensation nous apparaissant ainsi comme une détermination essentielle de l’être, nous met immédiatement en communication avec l’être.

Je disais, au début même de cette étude sur le mouvement, que le mouvement devait être le mouvement de quelque chose ; or cette chose pouvait-elle être la matière ? Non, car la matière elle-même se réduisait à un système de mouvements. Il fallait donc convenir que le mouvement avait son fondement dans l’être même, soit qu’on pût descendre, de mouvement en mouvement,