Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/136

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous montre seulement comment certains centres donnés d’organisation et de vie s’adaptent progressivement à la complexité préexistante du milieu et à la multiplicité des fonctions distinctes de l’être.

Dès qu’il y a eu des hommes en société, toutes les forces essentielles qui meuvent les sociétés humaines ont été données, au moins en préparation et en germe ; l’idée de famille, de propriété, l’idée du droit existaient au moins enveloppées. Il serait probablement impossible de prendre une quelconque de ces idées et d’en déduire les autres ; cela n’empêche pas le progrès dans les sociétés humaines : les âmes sont aux prises avec toutes les forces données, avec tous les sentiments premiers ; elles s’y débattent et s’y développent, appelant à la clarté les éléments encore obscurs, cherchant à résoudre en harmonies les éléments contradictoires. Je crois qu’on pourrait considérer l’univers comme une immense société de forces et d’âmes : ces forces, ces âmes, sollicitées entre le bien et le mal, aspirant, du fond des contradictions et des misères, à la plénitude et à l’harmonie de la vie divine, tirent parti de tous les éléments éternellement donnés dans le monde : la chaleur, la lumière, l’électricité, le son ; elles les appellent à la clarté de la conscience, elles les ordonnent en une vie intérieure toujours plus riche et plus proportionnée à l’ensemble. Ainsi, dans l’univers, comme dans les sociétés, il n’y a pas création d’idées nouvelles, de rapports essentiels nouveaux. De même que le bien et le mal, l’acte et la puissance, Dieu et le monde sont donnés éternellement, de même aussi les rapports essentiels de l’être avec lui-même, de l’universel avec l’universel, de l’universel avec l’individuel, de l’individuel avec l’individuel, sont éternellement donnés. À vrai dire,