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les murmures du soir qui flottent avec l’herbe et le vent et le rêve des êtres : c’est vraiment un murmure divin, et lorsque l’âme écoute et croit entendre le silence infini de la nuit, elle ne se trompe pas, car l’indifférence infinie de l’espace n’est qu’apparente : elle est traversée et émue par le vol mystérieux des pensées, des songes des âmes ; dès lors, il y a comme un vague frisson d’individualité qui se répand dans la placidité de l’être universel : c’est ce frisson vague que l’âme pleine d’attente recueille dans ce silence infini et passionné qui semble tout près de devenir une voix. Et comme cette pénétration de la conscience et de l’être, de l’individuel et de l’universel est en Dieu et par lui, c’est vraiment Dieu lui-même que nous écoutons tout bas et que nous entendons dans la silencieuse parole des nuits.

L’existence des sensations n’est donc explicable que parce que chaque ordre de sensation a son essence, et que cette essence a son fondement dans la réalité divine. Nous sommes ainsi bien loin de cet idéalisme mécaniste qui absorbait dans le mouvement comme tel la réalité des sensations.

À chaque espèce de sensation correspond une forme distincte de mouvement ; et c’est parce que dans le mouvement la forme est l’essentiel, que le mouvement, jusque dans sa continuité quantitative, peut traduire des essences.

Il ne servirait de rien au mécanisme de dire que tout mouvement peut se transformer dans un autre mouvement ; qu’ainsi, d’une forme de mouvement à une autre, il n’y a pas de distinction véritable, essentielle. La géométrie construit l’immense variété de ses figures avec quelques éléments très simples ; elle n’a même pas besoin, comme Pascal, d’avoir des barres et des ronds ;