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retrouvons l’aspiration, la liberté, la vie ; c’est, au contraire, en comprenant bien le mouvement. Il se décompose en deux éléments : la quantité et la forme. Vu du côté de la quantité pure, le mouvement n’est plus que l’espace illimité et homogène, c’est-à-dire la puissance immuable de l’être, c’est-à-dire un aspect de Dieu. Vu du côté de la forme le mouvement n’a son sens et sa mesure que dans l’infinité de la vie, c’est-à-dire encore en Dieu. Pascal a raison : la terre s’ouvre jusqu’aux abîmes, mais ce sont des abîmes divins.

Cette liberté de la douleur et de la joie, que la quantité brute n’assujettit pas, s’étend à tous les ordres de sensations. Il n’y a pas dans le monde une quantité définie de son et de silence, de lumière et d’ombre. Pour le son et la lumière, la même question se pose que pour la douleur et la joie : d’où viennent-ils ? S’ils ne préexistent pas en quelque façon, sous leur forme essentielle, il y a création absolue de son, de lumière, et cela est inintelligible. S’ils préexistent comme son, comme lumière, comme sensation brute, toutes les manifestations sensibles sont enfermées dans de stupides bornes numériques. Aucune âme ne pourra inventer et arracher de soi un cri nouveau. Il faut donc que, comme la joie et la douleur, la lumière et le son aient leur sens et leur vie dans la réalité éternelle de Dieu. La lumière est la transparence de l’être pour l’être, la manifestation de l’universelle identité, et dans cette identité la révélation de la forme, c’est-à-dire de l’individuel. Le son est la communication de l’individuel à l’individuel, le rythme intime d’une force et d’une âme s’insinuant dans les autres forces et dans les autres âmes. Or l’être infini est en même temps la conscience infinie, le moi absolu. Comme être infini il déploie la puissance de l’être illi-