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est comme une lumière invisible et réelle qui ne devient visible qu’en se réfléchissant dans les êtres et qui ne se réfléchit en eux que lorsqu’ils s’orientent vers elle, c’est-à-dire dans le sens de l’activité, de la pensée et de l’amour. Supposez un instant que la lumière du soleil puisse être saisie et consolidée en une monnaie d’or, vous comprendrez, par une image, comment se forment, avec la pure joie divine, les richesses de joie, plus palpables et plus maniables, qui sont dans l’univers. Ainsi, ce Dieu agissant et éternel qui se mêle au monde et qui le dépasse n’est pas une abstraction triste ; il est la joie absolue étant la vie absolue.

Mais aussi, avons-nous dit, par cela même qu’il est la vie, et qu’il fait de la perfection définitive, pour l’univers et pour lui-même, l’enjeu d’un effort éternel, il crée et il porte en soi une possibilité infinie de souffrance. Oui, Dieu, en même temps qu’il est la joie infinie, est, en un sens, l’infinie souffrance. Hé quoi ! la douleur serait en Dieu ! Ne vous récriez pas. Ne vaut-il pas mieux qu’elle soit en lui, que si elle venait de lui sans qu’il y fût mêlé lui-même ? Dire que Dieu, étranger lui-même à la douleur, la produit, qu’il fait simplement métier de créer la douleur, c’est véritablement nier Dieu. Ah ! sans doute, si la douleur était en lui comme une nécessité première, comme une loi du destin, il ne serait plus l’infini vivant:il serait je ne sais quelle puissance secondaire et quelle matière inerte que la douleur et la joie se disputeraient désordonnément ; il serait lui-même ce que serait le monde si le monde était privé de Dieu. Mais Dieu ne subit pas la douleur, il l’assume. Il est, et il est la perfection; mais s’il acceptait ainsi cette perfection toute donnée, elle serait une nature : elle ne serait plus la perfection. Voilà pourquoi Dieu ouvre en