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Assurément, les êtres, en un certain sens, empruntent de la joie toute faite au monde même qui les enveloppe ; il semble que certains souffles frais ou pénétrés de parfum et de vie versent du dehors de la vie et de la joie en nous. Il y a donc, je n’en disconviens pas, de la joie flottante dans les choses, et il paraît bien qu’il suffit parfois de la recueillir comme il suffit d’ouvrir sa fenêtre à la lumière et à l’air. Mais encore faut-il qu’il y ait harmonie entre ces forces bonnes et douces du dehors et les activités propres de notre être. Sans cette harmonie, il n’est point de joie, et par cette harmonie une joie infinie peut jaillir de quelques éléments très simples de joie ; une joie exquise peut se former de quelques éléments de joie très vulgaires, comme la rencontre et l’accord de deux sons en eux-mêmes presque indifférents peut éveiller dans l’âme une inexprimable douceur de rêverie. Il y a donc incessamment, à l’égard du monde, création de joie. Les joies ne sont pas dans le monde comme les parcelles d’or dans une mine d’or ; il ne s’agit pas de fouiller l’univers en tous sens pour en extraire la joie. Toutes les âmes, toutes les forces ont de la joie dans le fond d’être, c’est-à-dire d’infini qui est en elles, et cette joie s’éveille par l’accord intime des âmes et des forces avec les manifestations de l’infini vivant et l’infini vivant lui-même. Mais cette joie, avant de s’éveiller en nous, qu’était-elle et où était-elle ? N’était-elle rien ? C’est impossible. Était-elle une simple possibilité abstraite ? Ce serait encore rien. Elle n’est pas dispersée dans le monde ; elle n’est pas permanente en nous. Si vous ne voulez pas qu’il y ait sans cesse dans le monde une création absolue de joie, faite de rien, il faut bien que toute joie dérive de la joie éternelle et infinie qui est en Dieu. Cette joie