Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/119

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il est aussi hors de la durée, puisque chaque moment de l’univers ne s’expliquant pas tout à fait par le moment antérieur, ne pouvant pas s’appuyer sur le vide du passé, où toute forme s’est évanouie dans la quantité pure, se tourne, anxieux, pour y chercher sa raison et son aliment, vers le Dieu éternel.

Ce double rapport d’immanence et de transcendance, par lequel Dieu est toujours et tout à la fois présent et supérieur au monde, apparaît, d’une façon bien vivante, dans la joie et dans la douleur. Il y a dans le monde de la douleur et de la joie, les êtres jouissent ou souffrent ; d’où viennent cette douleur et cette joie ? elles sont des affections bien réelles et bien distinctes, des états indéfinissables, mais bien clairs et bien certains. Elles ne peuvent donc pas être créées de rien. Il ne suffit pas de dire que la joie apparaît lorsque les conditions organiques de la joie sont réalisées ; car, s’il n’y a aucun rapport intelligible entre ces conditions organiques et le sentiment même de la joie, ce sentiment de joie reste en lui-même inexpliqué. Si, au contraire, ces conditions organiques et la joie apparaissent comme deux aspects correspondants d’un même fait profond, expliquer la joie par les conditions organiques, c’est, en réalité, expliquer la joie par elle-même. Il faut donc chercher ailleurs l’explication de la joie. Dira-t-on qu’avant d’être perçue par notre conscience elle était disséminée dans d’autres consciences ? que notre cerveau étant un total de cellules autonomes, notre conscience est aussi un total de consciences élémentaires, que ces consciences élémentaires peuvent s’incorporer à la nôtre par les échanges continuels qu’entretient la vie, et qu’ainsi notre âme nourrit sa joie avec des éléments de joie épars dans le monde et préexistants ? Il y