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drame. Au contraire, lorsque par l’analyse même du mouvement nous réduisons la quantité dans le mouvement à être subordonnée à la forme, nous brisons le lien d’identité qui relierait les uns aux autres les états successifs de l’univers. Assurément, il y a une suite dans le monde et tout état de la réalité s’explique, en un sens, par l’état précédent et en dépend ; mais, en même temps, chacun de ces états devant exprimer à son heure l’infini vivant est en relation intime et directe avec cet infini. Il est, en un sens, un anneau dans une chaîne mécanique qui se prolonge indéfiniment ; mais chacun de ces anneaux est soumis, pour son compte, à l’influence de l’aimant divin. De là, des répulsions ou des attractions qui ne rompent jamais le développement mécanique de l’univers, mais qui y jettent sans cesse un trouble passionné. Par là, Dieu est étroitement uni au monde et, en même temps, il en est distinct ; le monde, en chacun de ses états, aspire vers l’infini vivant ; il tente de créer en lui-même, avec les éléments que lui lègue le passé, un équilibre des forces et des âmes où l’harmonie divine se réalise et se manifeste ; ou, quand il manque à son œuvre, quand il se dérobe à Dieu, il sent, à je ne sais quel trouble profond, qu’il se dérobe à lui-même : Dieu accueilli ou éludé est donc ainsi toujours présent à l’univers. Mais, en même temps, l’univers, même s’il réalise à un moment de la durée un équilibre joyeux et bon, sent très bien que l’infini vivant ne s’y épuise pas, qu’il pourrait être traduit par d’autres harmonies encore plus profondes et plus vastes, et ainsi chaque moment de l’univers qui, à ce même moment, est le tout de l’univers, n’est qu’une fraction infinitésimale de Dieu. Dieu est ainsi dans la durée, puisqu’il se mêle incessamment au monde qui dure ;