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brute et fixée de bien et de mal, de douleur et de joie. Il n’y a donc rien, dans la nature des choses, qui s’oppose à ce que la joie résorbe enfin la douleur. De plus, les rapports de la joie et de la douleur supposent, comme nous l’avons vu, qu’elles dérivent toutes les deux d’un même principe, c’est-à-dire de Dieu. Or, nous avons vu qu’en Dieu la joie était première, en quelque sorte, et que la douleur était dérivée, car c’est la plénitude joyeuse de la vie qui se répand dans l’effort, dans la lutte et dans la souffrance. La douleur est donc, dans l’activité infinie, une dépendance de la joie, et on peut dire que toutes les douleurs de l’univers doivent avoir une tendance secrète à se convertir en joies divines. Ainsi, tout être, dans la sphère où il se meut, peut espérer, s’il ne se détourne pas de la source supérieure de vie, avoir raison de la douleur, non pas en la supprimant tout à fait, mais en la réduisant, et surtout en la subordonnant à ce point à ses facultés actives, qu’elle ne soit plus qu’un ressort nouveau d’action, et même, pour les âmes vaillantes, un étrange complément de la joie.

Si, dans le mouvement, la quantité était l’essentiel et le fond ; s’il y avait, en effet, une somme des mouvements, il n’y aurait dans le monde ni élan, ni chute, ni sommet, ni abîme ; il serait comme une plaine uniforme se déroulant à l’infini. De plus, tout état du monde étant identique par la quantité, c’est-à-dire par l’essentiel, à l’état antérieur et le reproduisant tout entier, sauf des différences superficielles d’arrangement, s’expliquerait pleinement par les états antérieurs. Ainsi, le monde ne serait en relations qu’avec lui-même ; chacune de ses périodes serait comme enveloppée dans la période précédente sans qu’il y eût jamais initiative et