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celles qui écloront un jour, nous ne savons quel jour, dans les nébuleuses lointaines qui s’acheminent vers la vie, — toutes s’ignorant les unes les autres et agissant pourtant du dehors les unes sur les autres, — sont reliées aussi, si je puis dire, dans le sens de la hauteur par l’identité du problème éternel et divin que toutes, chacune à sa place, à son heure, et pour soi, doivent résoudre tout entier. Il y a, dans l’apparente régularité du développement universel, une crise d’infini qui recommence avec toute âme et toute force. Le monde, à tout moment et à quelque degré qu’il soit parvenu, peut toucher à l’infini par l’intelligence et l’acceptation de ce que l’infini exige à ce moment précis : il peut aussi, par la méconnaissance du problème ou sa lâcheté à le résoudre, s’en éloigner infiniment. Le bien et le mal, la douleur et la joie sont toujours en question ; les voix qui, le soir, montent de la terre sont pleines à la fois de joies et de désirs, d’espérances et de troubles ; les grands souffles qui se répandent dans l’espace sont mêlés de caresses et de grondements ; et, quand ils rencontrent la forêt, on ne sait parfois s’ils respirent en elle ou s’ils se fâchent contre elle, s’ils la bercent ou s’ils la dépouillent, et les âmes troublées comme la forêt hésitent entre l’espérance et la crainte, entre la tristesse et la joie. Oh ! comme ces voix qui montent le soir de la terre, comme ces grands souffles, dont on ne sait s’ils sont amis, expriment bien l’inquiétude du monde et sa mélancolique grandeur !

Mais, dans cette mélancolie même qui naît du perpétuel recommencement de la lutte et de l’incertitude éternelle qui se mêle même au progrès, il y a cependant un fond d’optimisme. Car, si le drame recommence toujours, c’est qu’il n’y a pas dans le monde une quantité