Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/111

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mouvement à un autre mouvement. De même que la science et le mystère se pénètrent et ne font qu’un, de même il y a en toute chose à la fois mesure et infinité.

La vie intérieure de l’univers, pensée, affections, sensations, étant liée au mouvement, est infinie de a même infinité que lui, métaphysique et non mathématique. Il n’y a pas dans le monde une quantité brute de pensée, d’amour, de haine, de douleur et de joie, de lumière et de ténèbres. Ce n’est pas en essayant de faire la somme du bien et du mal qu’il contient que l’on comprendra l’univers. Le cosmos n’est pas un registre d’affaires, et on ne dresse pas en doit et avoir le bilan de l’infini. Admettons un instant que l’on puisse nombrer les éléments de joie disséminés dans l’univers. Même s’ils sont en nombre illimité, même s’il y a une quantité infinie de joie dans le monde, il n’y a pas, au fond, une infinité vraie de joie ; car la douleur subsiste en regard, et comme il y a, dans la quantité, des infinis de différents ordres, il se peut que la douleur, même moindre que la joie, soit infinie comme elle. Ainsi, il y aura dans le monde un infini de joie et un infini de douleur, et jamais, si la joie et la douleur étaient des quantités brutes, la joie ne pourrait réduire et absorber la douleur. Comment expliquer, en effet, si la joie et la douleur sont des quantités données, des quantités brutes, qu’il puisse y avoir diminution de l’une ou de l’autre ? Il faudrait, pour cela, que la joie devînt de la douleur ou que la douleur devînt de la joie. Or, cela est incompréhensible. Ici ou là la joie pourra faire place à la douleur ou la douleur à la joie ; mais, au total, la douleur et la joie occuperont toujours la même étendue de l’univers. La douleur sera, dans le monde, comme une ombre qui tourne et se déplace, mais ne diminue pas ; et nous,