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de l’espace, mais elle intervient dans l’activité même du monde, pour fonder, sous la diversité infinie des formes, un système d’équivalence, sans lequel il n’y aurait pas de relation possible entre ces formes. Certes, nous qui avons montré que cette puissance de l’être était fondée par l’acte infini, nous sommes bien loin de réduire tout l’être à la puissance. Nous convenons très bien, avec M. Lachelier, que lorsque nous disons que les choses sont, c’est parce que nous savons qu’elles doivent être, c’est-à-dire qu’elles sont un élément nécessaire d’un système infini ordonné par la causalité et la finalité, c’est-à-dire d’une unité, d’une forme ; mais aussi il ne faut pas, sous prétexte de ne pas matérialiser l’être, de n’en pas faire une chose, éliminer l’être considéré comme puissance et comme quantité. Cette idée n’est pas vaine, car non seulement elle se manifeste par l’espace aux sens, c’est-à-dire à la pensée, non seulement elle sert en quelque sorte de fond et de lest dans tous les mouvements du monde, mais encore la conscience vivante en a le sentiment immédiat, lorsqu’elle a le sentiment confus de l’être. Il subsiste en nous, après la diversité des pensées, des sensations, des émotions ou des spectacles, un vague ébranlement ; les formes d’activité qui ont ému notre âme se mêlent et s’évanouissent, et il ne reste plus en nous qu’une sorte de vibration dernière qui est, si l’on peut dire, l’être même en mouvement ; c’est le point mystérieux, quoique senti, où le mouvement, perdant sa forme, fait retour à la quantité, où l’acte se détend dans la puissance. Il ne suffit pas de dire que cette idée de l’être, comme puissance permanente et comme substance du monde, n’est pas vaine : il faut dire encore qu’elle n’est pas rebelle ni même extérieure à la pensée ; c’est l’acte