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une perspective infinie, et qui incessamment se renverse des sens à l’esprit, de l’esprit aux sens. Dans ce mouvement du dedans au dehors et du dehors au dedans le monde n’a pas d’autre point d’équilibre que ce mouvement lui-même, c’est-à-dire l’acte éternel de la création par lequel Dieu s’exprime dans le monde et appelle le monde à soi. La vision des sens est si puissante qu’elle rapproche tout et que le mystère divin appelé au premier plan sensible apparaît, par cela même, plus prodigieux ; l’infini visible n’est plus que la surface de contact de l’âme et du mystère, et nos sens mêmes sentent frémir celui-ci.

Dans le Dante, la perspective est plus fixée ; l’intelligible, la rationnel, le divin restent l’arrière-fond mystérieux, et ils ne se déplacent pas vers nous ; c’est à nous d’aller vers eux. Ils s’expriment par des symboles sensibles, par des harmonies, par des clartés ; et ces symboles n’ont toute leur valeur expressive que dans les sphères supérieures où jusqu’ici notre rêve seul a pénétré. Mais là il y a une merveilleuse fusion de l’intelligible et du sensible. La lumière n’y est pas abstraite et glacée, elle a les plus chaudes colorations de la vie ; mais on sent qu’elle vient de cette source première de clarté qui a précédé tous les soleils, qu’elle jaillit de l’être même, et qu’elle a traversé, avant de luire à nos yeux, un milieu d’intelligence et d’âme. Est-ce un rayon de lumière ou un rayon de pensée ? Est-ce une perle qui se distingue à peine sur un front blanc ; est-ce une âme douce et sereine qui se détache à peine sur un fond de sérénité et de douceur ? Et cette étincelle qui tremble dans une lueur n’est-ce pas l’âme individuelle qui a son tressaillement et son scintillement propre dans l’immense lueur divine ? Voici des rubis qui s’embrasent à