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LA JEUNESSE PENSANTE ET LE PEUPLE

« La Dépêche » du dimanche 14 juillet 1889

Qu’est-ce qui manque le plus au peuple, dans l’ordre intellectuel et moral d’où tout le reste dépend ? C’est le sentiment continu, ininterrompu de sa valeur. Le peuple a, par intermittence, par éclair, le sentiment de sa valeur, de son rôle dans le mouvement des idées, des droits que ce rôle lui confère ; mais il ne l’a pas toujours. Il s’est mêlé à toutes les grandes révolutions morales de l’âme humaine, et, par conséquent, des sociétés ; il y a eu sa part, mais il n’a pas su en garder la direction. Sans le peuple, qu’aurait été le christianisme naissant ? Le travail de la conscience et de l’esprit antiques l’avait préparé ; mais ce sont les multitudes souffrantes et douces qui l’ont fait en y versant leur besoin d’espérer et d’aimer. Or, à peine né, le christianisme échappait au peuple et le peuple laissait faire.

Au bout de quelques siècles, une hiérarchie fanatique, oppressive de l’esprit et du peuple même, s’était substituée à la douceur de l’Évangile. Pourquoi ? parce que l’âme du peuple, après l’explosion du mystère qui était en elle, était rentrée dans le sommeil. De même