Page:Jaurès - Action socialiste I.djvu/297

Cette page a été validée par deux contributeurs.

entre les choses et les mots : il y avait une hiérarchie sociale comme il y avait une hiérarchie religieuse correspondante ; il y avait une résignation sociale et une résignation religieuse ; il y avait une échelle de la création, au sommet de laquelle étaient les puissances supérieures et Dieu, comme il y avait une échelle de la société, au sommet de laquelle étaient le noble, le prêtre et le roi ; et il n’y avait ni tromperie ni équivoque : le serf savait qu’il était devant Dieu l’égal du noble ; mais il savait aussi que, de par l’ordre du même Dieu, tant qu’il serait sur la terre, il serait un serf. Il n’y avait aucune hypocrisie sociale, et le dédain qu’on éprouvait pour les petits, on commençait par le leur inspirer à eux-mêmes.

Ce qui, au contraire, caractérise la société présente, ce qui fait qu’elle est incapable à jamais de s’enseigner elle-même et de se formuler elle-même en une règle morale, c’est qu’il y a partout en elle une contradiction essentielle entre les faits et les paroles. Aujourd’hui, il n’y a pas une seule grande parole qui ait son sens vrai, plein et loyal : fraternité, — et le combat est partout ; égalité, — et toutes les disproportions vont s’amplifiant ; liberté, — et les faibles sont livrés à tous les jeux de la force ; propriété, c’est-à-dire rapport étroit et personnel de l’homme et de la chose, de l’homme et d’une portion de la nature transformée par lui, utilisée par lui, — et voilà que la propriété devient de plus en