Page:Jaurès - Action socialiste I.djvu/168

Cette page a été validée par deux contributeurs.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

ferait de l’humanité, si elle était dirigée par un être supérieur à l’humanité. Or, cet être supérieur à l’homme, c’est l’homme lui-même. Car il peut, à toute heure, quand il n’est pas sous l’impression immédiate du mal, et dans l’humiliation récente d’une chute, se porter, par un rapide élan de sa pensée, à ces hauteurs morales où sa volonté appesantie n’atteint que bien rarement. Et ainsi l’humanité peut grandir par la vertu même de l’idéal suscité par elle : et, par un étrange paradoxe qui prouve que le monde moral échappe aux lois de la mécanique, l’humanité s’élève au-dessus d’elle-même sans autre point d’appui qu’elle-même. Donc, les maîtres ne doivent pas, par défiance de soi ou par humilité, rapetisser l’enseignement moral : ils doivent parler sans crainte de l’excellence du devoir, de la dignité humaine, du désintéressement, du sacrifice, de la sainteté.

Trop souvent, ils négligent l’enseignement moral pour l’enseignement civique, qui semble plus précis et plus concret, et ils oublient que l’enseignement civique ne peut avoir de sens et de valeur que par l’enseignement moral, car les constitutions qui assurent à tous les citoyens la liberté politique et qui réalisent ou préparent l’égalité sociale ont pour âme le respect de la personne humaine, de la dignité humaine. La Révolution française n’a été une grande révolution politique que parce qu’elle a été une grande révolution morale.