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Malgré tout, parce que nous savons que les prolétaires auront plus de garantie, si ce sont les municipalités élues par eux, vivant au milieu d’eux qui gardent la police, il faut persister à demander que la police soit laissée aux mains des municipalités.

Et laissez-moi vous le dire, si vous aviez le droit, parce que nous avons soutenu contre le nationalisme, contre la réaction, le ministère Waldeck-Rousseau, si vous aviez le droit de nous accuser de je ne sais quelle complicité dans les crimes de La Martinique et de Chalon, que diriez-vous à vos amis eux-mêmes ?

Quoi ! vous avez réuni sur cette estrade, et je vous demande la permission de parler en toute liberté, — vous avez réuni sur cette estrade les maires du Parti Ouvrier Français. Eh bien ! je vous le demande, si la politique du gouvernement pouvait se caractériser par La Martinique et par Chalon, si ces crimes-là en étaient l’expression vraie et la caractéristique, que diriez-vous des municipalités élues qui auraient accepté, comme l’ont fait les vôtres — et elles ont eu raison — d’aller rompre le pain de l’hospitalité au même banquet que les gouvernants meurtriers ?

Quoi ! le maire de Lille, le citoyen Delory, le maire de Fourmies, — de Fourmies ! la ville assassinée — tous ces maires élus, tous ceux qui portent en eux la responsabilité de la cité vont s’asseoir à la même table que Waldeck-Rousseau, et lorsque la Chambre est rentrée, lorsque le Parlement est réuni, lorsqu’il y a une interpellation sur la politique générale, lorsqu’il ne s’agit plus seulement de Chalon et de La Martinique, mais de Sipido, ignominieusement expulsé, mais de Morgari chassé ; lorsqu’il s’agit de tout cela, telle est pourtant la force des choses, tel est l’intérêt suprême du prolétariat à ne pas se livrer à la réaction nationaliste et cléricale, que tous vos élus, tous, tous, Zévaès qui est ici, comme Vaillant, tous ont donné un vote de confiance au gouvernement.

Prenez garde, si vous dites Chalon et La Martinique, ce n’est pas moi seul que vous frappez ! (Vifs applaudissements et bravos.)

Nous pouvons donc, nous élevant au-dessus de ces polémiques personnelles et de ces luttes fratricides, nous pouvons regarder la question de principe en elle-même et pour elle-même.

Je me permets de vous dire, avec l’assurance peut-être présomptueuse de n’être pas démenti par les années qui vont venir, je me permets de vous dire que toutes les fois qu’il a essayé une forme nouvelle d’action, toutes les fois qu’il a renoncé à son abstention première, qualifiée révolutionnaire, pour entrer dans l’action et se mêler aux événements, toujours il y a eu des intransigeants qui ont adressé au Parti socialiste les reproches, que quelques-uns d’entre vous adressent aujourd’hui à la participation d’un socialiste à un gouvernement bourgeois.


TACTIQUE


Ah ! citoyens, depuis trente ans, le Parti socialiste a fait du chemin dans le monde. Il s’est mêlé à beaucoup d’événements, à beaucoup d’institutions en dehors desquelles il se tenait d’abord. Nous discutions aujourd’hui pour savoir si le Parti Socialiste doit participer à l’action parlementaire.

N’allez pas pourtant vous imaginer, camarades, qu’il en a toujours été ainsi. Il y a eu dans l’histoire du Parti socialiste depuis trente ans, un moment où ceux qui conseillaient l’entrée des socialistes dans le Parlement étaient combattus aussi violemment, dénoncés aussi âprement que nous, nous le sommes aujourd’hui.

Écoutez, je vous prie, ce qu’écrivait, en 1869, le grand socialiste démocrate dont l’humanité socialiste a pleuré la mort, le citoyen, le compagnon Wilhelm Liebknecht.

En 1869, au moment où venait d’être créé depuis deux ans déjà le suffrage universel en Allemagne, pour le Parlement de la confédération de l’Allemagne du Nord, Liebknecht a écrit une brochure pour chercher ce que les socialistes pouvaient et devaient faire au Parlement.

Non seulement il ne voulait pas qu’on s’y occupât d’action réformatrice, mais il considérait que la tribune parlementaire était inutile, même pour les discours de pure propagande et il disait :

« Nos discours ne peuvent avoir aucune influence directe sur la législation ; nous ne convertissons pas le parlement par des paroles, par nos discours nous ne pouvons jeter dans la masse des vérités qu’il ne soit possible de mieux divulguer d’une autre manière.

« Quelle utilité pratique offrent alors les discours au Parlement ? Aucune ; et parler sans but, constitue la satisfaction des imbéciles.

« Pas un seul avantage.

« Et voici de l’autre côté les désavantages ; sacrifice des principes, abaissement de la lutte politique, réduite à une escarmouche parlementaire ; faire croire au peuple que le Parlement bismarkien est appelé à résoudre la question sociale serait une imbécillité ou une trahison ».

Voilà comment, en 1869, apparaissait aux socialistes démocrates l’action même, l’action de propagande de nos élus dans le Parlement. J’imagine que vous avez reconnu là, appliquées à un objet différent, les condamnations que l’on porte contre nous à propos de l’entrée d’un socialiste dans un ministère bourgeois. Quelques années après, pourtant, entraîné par l’irrésistible mouvement des choses, non seulement Liebknecht demeurait un combattant à l’assemblée de l’Empire, mais il entrait au Landtag saxon, où on ne peut entrer qu’en prêtant le serment de fidélité à la constitution royale et bourgeoise :