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quel est donc ce grand garçon habillé en femme que promène notre député ?

—Pardon de vous interrompre, dit gaiement la châtelaine, mais c’est excellent, c’est tout à fait cela !

—Patience, écoutez ce qui suit ; j’arrive au lamentable. Pour arrêter le flux d’appréciations de mon oncle, j’avance précipitamment le pied, le posant en façon de pédale sur celui du général. Au même instant, je saisis le regard brillant du député, attaché sur mon avertissement. Je n’ose plus retirer le pied révélateur, et je demeure jambe tendue, fort gênée de mon rôle amical, d’autant que cette physionomie expressive que nous connaissons ne disait que trop clairement qu’il avait tout entendu. Résultat: embarras réciproque toutes les fois que le nom de Mme de Rupert se présente dans la conversation.

-Pour ma part, chère amie, reprit Mme Berryer, je suis charmée de votre bonté maladroite. C’est une leçon. 11 ne faut pas prétendre ériger une femme pyramidale en beauté, et de, l’absence déplorable de formes, constituer une élégance. »

Il faut se souvenir que celle qui parlait ainsi, avec des traits charmants et un teint éclatant, de taille moyenne, avait toujours été un peu grasse. « C’est un paquet de roses, disait d’elle une envieuse.

Le soir de ce même jour, personne ne soufflait mot encore d’un départ. La musique vint remplir la plus grande partie de cette soirée. Notre châtelain adorait placer une partition de Rossini sur le pupitre, s’asseoir près du piano, et, guidé par les paroles, battant du pied la mesure, chanter de mémoire tour à tour toutes les parties, sans connaître une seule note des clefs de sol ou de fa. Musicienne, la comtesse se prêtait volontiers, comme moi, au rôle d’accompagnateur. Les souvenirs du Théâtre-Italien venaient colorer, accentuer la partie vocale. C’était tour à tour Lablache et Rubini, puis la