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En ma présence, un jour, un homme aimable et spirituel, ennuyé de voir toutes les femmes engouées de l’orateur, soutint, contre de belles adversaires, qu’il refusait, en amour, la perfection qu’il accordait à Berryer dans les sentiments de mezzo caractère.

«Connaît-il cette passion, ce feu dévorant, concentré, qui est avant tout exclusif ? Non ! son cœur s’évapore entre les mille et une! »

L’auditoire féminin se récriait, s’exclamait.

«Eh bien ! demandait-il, quelle femme pourrait montrer de lui des lettres comparables à celles de Mirabeau à Sophie ? »

Naturellement, sur ce point délicat, personne ne prenait la parole ni ne cherchait au fond de sa poche. Regardant ce silence comme gain de cause, il poursuivit:

« Croyez bien que, si Berryer ne dépensait en monnaie sa pièce d’or, peu de femmes, parmi les plus sages même, pourraient se vanter d’avoir résisté à cette éloquence passionnée, pénétrante. Pouvoir éveiller, agiter les passions, quel don divin Mirabeau est bien la preuve de ce que j’avance. Pourtant il était puissamment laid! Jugez, avec tout l’agrément de figure de votre idole, jugez de ce qui adviendrait ! »

II y avait quelque justesse apparente dans ce dire ; mais quelle large part d’inconnu existe encore dans le cœur et la vie même de ceux qu’on croit le mieux savoir!

Après avoir vu le tilbury emporter la jeune veuve et le châtelain, je me rendis au petit salon, où j’étais à peu près sûre de trouver la maîtresse de la maison mollement plongée dans une bergère. Là, règne un jour mystérieux, qui, tamisé par des tentures cramoisies, répand sa teinte animée sur un beau marbre de Canova, placé au milieu du salon. Cette Vénus a été léguée, en 1838, par le duc de Fitz-James à son ami Berryer. Tout dans cette retraite favorise l’épanchement, amène les confidences.