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mier, la comtesse s’élança dans la barque, s’assit au gouvernail, criant:

« Qui m’aime me suive ! »

Le chevalier Artaud, d’une galanterie surannée, mais spirituelle, l’excellent académicien Roger, Rikomski et deux jeunes propriétaires du voisinage se précipitèrent à sa suite. On me tendait la main, j’entrai à mon tour dans le bateau. Sur la berge, Berryer parut hésiter, puis renoncer résolument.

« Nous serions trop de monde, dit-il.

—Comme vous voudrez, fit Mme de T... avec un petit rire moqueur; on se noiera sans vous. »

Il me parut que notre châtelain avait un air abandonné. Avant que les rames ne fussent en mouvement, je me levai et sautai à terre.

« Moi aussi, dis-je, je préfère marcher. Nous serons deux pour, du rivage, admirer l’embarcation. »

Nous suivions d’un pas lent et distrait le courant de la rivière, quand des cris d’effroi nous arrachèrent à la rêverie. Nous voyons de loin les hommes s’agitant en tous sens ; mais la comtesse n’est plus dans le bateau ! Pâle d’émotion, Berryer s’élance ; mais déjà le visage riant de l’ondine se montre à fleur d’eau, nageant élégamment et gagnant la rive, sans paraître embarrassée du poids de ses vêtements.

« Le capitaine est sauvé ! » cria-t-elle à l’équipage troublé.

Elle n’osa avouer tout de suite que la chute était une expérience. Habile nageuse, elle s’était laissée choir en se penchant, voulant savoir comment, tout habillée, on pouvait se tirer d’un naufrage. En partant, son intention était de prévenir ceux qui voguaient avec elle. Une malice féminine la fit changer d’avis lorsque Berryer refusa’ la promenade. L’effrayer était tirer une petite vengeance de son abandon, vengeance dont le grave auteur de