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continua Berryer riant, qui rétablit le fait dans sa véracité, et je pourrai bien lui jouer le tour de la publier quelque part.

—Faites-le, répliqua avec vivacité la jolie veuve, et puisque nous nous permettons de pénétrer dans le sanctuaire de l’Abbaye-aux-Bois, parlons un peu de Mme Récamier. Donnez-moi la clef du charme inextinguible qu’elle exerce sur ses fidèles. Je me sers de cette,qualification, parce que son culte ressemble à une religion. On y rencontre une sorte de fanatisme et beaucoup d’intolérance. Fait-elle des miracles ? A-t-elle prodigieusement d’esprit ? Cette beauté de la dernière heure a cessé d’être incomparable ; en grâce, d’où vient cette influence ?

—Faut-il vous révéler son secret ?» demanda d’un ton sérieux Berryer.

Un oui unanime éclata.

« Eh bien elle sait écouter.
— Il paraît, repris-je, que le moyen n’est pas irrésistible. J’ai remarqué, à votre honneur, que vous n’avez jamais figuré parmi les englués de l’Abbaye.

—Non ; et c’est pour cela que j’ai pu distinguer le procédé. Que de nuances, de degrés dans la pratique ! Quelle habileté ! C’est une merveille à étudier que cet art de plaire. La femme s’efface, et l’on sent toujours sa présence.

—Que de questions, s’écria la comtesse, on voudrait adresser à qui a connu Mme Récamier dans sa fleur de beauté ; mieux que cela, sur ce passé, il faudrait diriger une enquête, connaître par quelle sorcellerie elle a pu enguirlander les prétendants avec des refus. Ne laisserat-elle donc pas quelque ouvrage instructif à ses héritières ?

—L’ouvrage serait puéril. Il me semble, mesdames, que vous n’avez rien à apprendre de’ son expérience, répliqua Berryer.