Il était entendu que, de retour au salon, on ne s’occupait
plus de la politique. Parmi les nouveaux venus,
M. Roger, l’académicien, ne pouvait que gagner à cette
règle. Il avait une façon nasale d’émettre ses arguments
légitimistes un peu vieillots, qui agaçait singulièrement
son ami Berryer, tandis que d’anciens succès littéraires
à la Comédie-Française étaient une source intarissable
de conversations intéressantes et d’anecdotes piquantes.
C’était un homme bon et serviable. La maîtresse de la
maison, cherchant à lui être agréable, fit tomber la conversation
sur Mlle Rachel, dont on s’occupait alors beaucoup.
On vantait l’intelligence supérieure avec laquelle
ses rôles étaient conçus.
A l’encontre des enthousiastes, en tête desquels se
plaçait le châtelain, notre académicien soutint aussitôt
qu’un grand talent pouvait se rencontrer avec une intelligence
très limitée. On se récria il appuya son dire
d’un exemple. Mlle Duchênois, la grande tragédienne qu
a quitté le théâtre en 1830, et n’est pas encore remplacée
dans le rôle de Phèdre, était d’une laideur affligeante,
avait un hoquet dramatique insupportable pas d’instruction,
et une intelligence bornée. Elle dominait
cependant, empoignait son public!
« Quel était donc son secret ? demanda Mme Berryer.
—La passion! madame, la passion! Elle la ressentait
et la communiquait à son auditoire. Au sujet de ce rôle
de Phèdre, j’ai eu avec elle des discussions incroyables!
Au moment où elle adresse à Hippolyte les vers suivants:
Que de soins m’eût coûté cette tête charmante,
Un fil n’eût pas assez rassuré votre amante...
sans y manquer, elle estropiait sottement le second vers,
déclamant ainsi:
Un fils n’eût pas assez rassuré votre amante !
Cela me rendait furieux. J’allai la trouver dans sa loge :