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LES SILÈNES

le chevalier Mordax, avoir vendu pour 2.000 couronnes sa fiancée à un collectionneur d’hôteliers et de fiancées. Par prudence, il a bourré toutes ses poches d’oignons, afin de pleurer, grâce à eux, des larmes de regret. (Les serviteurs retournent les poches de M. Du Val ; une quantité d’oignons tombe à terre).

Liddy (revenant à elle). — Monsieur Monroc, vous risquâtes votre sang pour moi : si ma main peut vous être une récompense, la voici.

Monroc. — Trop heureux, je tombe à vos genoux.

Liddy. — Non pas ! Un homme comme vous ne doit se courber devant aucune jeune fille ! C’est avec joie que je donne le baiser de fiançailles sur ces lèvres que vous aviez coutume de dénigrer si injustement.

Le Baron. — Voilà qui est bien ! Je bénis votre union !

Mort-aux-Rats. — Et c’est moi qui composerai l’épithalame.

Liddy (souriant). — Mort-aux-Rats, vous êtes effroyablement lâche !

Mort-aux-Rats. — Je suis un poète, mademoiselle !

Le Baron (à Du Val et au Chevalier). — Quant à vous qui êtes la honte de la noblesse, vous subirez le châtiment que vous méritez ! Je veux vous ficeler l’un à l’autre, comme des malfaiteurs de la plus vile espèce, vous transporter en plein jour dans la ville, vous…

Le Chevalier (s’échauffant). — Enfer et damnation, ceci dépasse ma patience ! Me faire transporter pieds et poings liés en ville ! Voici donc la récompense que je reçois pour avoir si divinement joué mon rôle ? Croyez-vous, Monsieur le Baron de théâtre, que je ne sache pas que vous êtes l’acteur V. et que vous n’avez pas le droit de me toucher ?