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LES SILÈNES

Le Maître d’École. — Hé ! hé ? Ce gamin n’a-t-il pas une voix toute charmante ? J’ai déjà serré dans mon pupitre vingt-deux lettres des Sirènes ; elles veulent absolument l’engager parmi elles, mais je leur réponds chaque fois qu’il est encore trop jeune.

Mort-aux-Rats. — Enniaisé manieur de férule, laisse la billevesée et met des verres sur la table.

Le Maître d’École (plaçant les verres). — Ils y sont.

Mort-aux-Rats. — Vite donc, buvons !

Le Maître d’École. — Patience, patience ! Une demi-minute !

(Il court au lit, arrache un traversin et se l’enroule autour de la tête).

Monroc. — Diable ! Qu’est-ce que cette folle mascarade ?

Le Maître d’École. — Pure prévoyance, monsieur Monroc ! Pure prévoyance. À cause de la chute possible, je ne me soûle volontiers qu’une fois la tête capitonnée.

Monroc. — Quel sage, quel expérimenté praticien ! Comme ton élève soumis, je t’imite sur-le-champ, selon les règles de ta prévoyance !

Mort-aux-Rats. — Et j’en fais autant !

(Ils arrachent deux traversins et s’enveloppent la tête pareillement).

Le Maître d’École. — Pour le coup, messieurs, voici nos trois têtes prises dans ces monstrueux traversins telles trois malheureuses mouches tombées au milieu d’un seau de lait !

Monroc. — Maître d’École, racontez-moi une histoire de votre jeune temps !

(Ils s’asseyent autour de la table et pintent. Le Maître d’École boit. Ils boivent immodérément).