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LES SILÈNES
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me suivit jusqu’au seuil du paradis où Socrate l’accueillit à bras ouverts et le conduisit immédiatement chez le barbier, afin qu’il se fît couper la barbe et prît ainsi un aspect un peu plus civilisé.

Mort-aux-Rats. — Oh, puisque vous connaissez le paradis, je vous conjure de me raconter ce que deviennent ces immortels héros de vertu que j’ai choisis pour être les phares de ma vie et de ma poésie ? Dites-moi, avant tout, ce que fait le marquis Posa, ce noble modèle de l’amitié ?

Le Diable. — Vous voulez parler de celui qui se trouve dans Don Carlos.

Mort-aux-Rats. — Celui-là même.

Le Diable. — Vous vous trompez, si vous croyez qu’il se trouve au Ciel, il est avec moi en Enfer.

Mort-aux-Rats. — Comment ?

Le Diable. — Oui, oui, le marquis Posa s’est tout autant étonné de se trouver soudain en Enfer que Samuel de devoir aller au Ciel. Mais nous lui ôtâmes son porte-voix retentissant et lui donnâmes l’occupation pour laquelle il était le plus doué. Il est devenu proxénète et tient un débit de bière à l’enseigne de la Reine Elisabeth.

Mort-aux-Rats. — Impossible, impossible ! Posa, un tenancier de gargotte ! Je ne puis m’imaginer cela.

Le Diable. — Calmez-vous, son emploi actuel semble lui convenir, il devient gros et gras et a déjà du ventre.

Mort-aux-Rats. — Du ventre !!! — Mais cet autre grand modèle du sacrifice de soi, le noble, l’admirable peintre Spinarosa, se trouve sûrement au premier rang des élus tout près de Curtius et de Régulus ?

Le Diable. — Non, vous vous trompez une fois de plus ! Spinarosa est employé dans le débit de Posa à titre