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LES SILÈNES
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de temps et de lieux ! Et quant aux vers, quant aux vers ! Les opinions sur l’univers que vous y exprimez…

Le Diable. — Savez-vous ce que c’est que l’univers ?

Mort-aux-Rats. — Quelle question ! L’univers est l’ensemble de tout ce qui existe, depuis le moindre vermisseau, jusqu’au plus immense système solaire.

Le Diable. — Je veux donc vous dire que cet ensemble de tout ce que vous honorez du nom d’Univers n’est rien d’autre qu’une comédie médiocre griffonnée pendant ses vacances par un ange imberbe et blanc-bec, qui vit dans l’univers véritable, incompréhensible aux hommes, et qui, si je ne me trompe, se trouve encore en classe de première. L’exemplaire dans lequel nous sommes, se trouve, je crois, dans la bibliothèque de prêt de X et est lu précisément en ce moment par une jolie dame qui en connaît l’auteur et qui a l’intention de lui donner là-dessus son opinion, à l’heure du thé, ce soir, c’est-à-dire, après plus de six millions d’années.

Mort-aux-Rats. — Monsieur, je deviens fou ! — Si l’Univers est une comédie, qu’est-ce donc que l’Enfer qui est compris, lui aussi, dans l’Univers ?

Le Diable. — L’Enfer est la partie ironique de la pièce de théâtre, et il a mieux réussi que le Ciel qui n’en est rien que la partie joyeuse.

Mort-aux-Rats. — L’enfer ne serait vraiment pas autre chose ? Comment, — comment sont punis les coupables ?

Le Diable. — Nous nous moquons d’un meurtrier, jusqu’au moment où il se met à se moquer soi-même, parce qu’il s’est donné le mal d’assassiner un homme. Mais le plus pénible châtiment d’un damné consiste à devoir lire le Journal du Soir et l’Indépendant sans avoir le droit de cracher dessus.