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LES SILÈNES

Le Diable. — Je…

Mort-aux-Rats (l’interrompant). — Vous devriez faire des vers ! Essayez ! Vous ferez des poèmes admirables !

Le Diable (à part). — Parce que j’ai loué les siens.

Mort-aux-Rats. — Je vous demanderai seulement de signer vos vers d’un autre nom que le vôtre. Non pas, parce que, comme il est de mode actuellement, vous devriez avoir honte de vos poèmes, mais seulement afin de dissimuler ce que votre nom a de trop caractéristique. Et de même, par exemple, qu’un homme dont l’esprit est sombre, taciturne, pourrait se nommer Clarté, vous devriez vous faire appeler Ange, Ciel ou Vertu.

Le Diable. — Vous me donnez là un conseil qui mérite d’être suivi, Monsieur Mort-aux-Rats ! J’ai d’ailleurs déjà produit plusieurs ouvrages. Récemment, par exemple La Révolution française, tragédie en 14 années avec un prologue de Louis XV. Mais la pièce a été extraordinairement mal accueillie, surtout à cause de l’erreur suivante : on y guillotinait les critiques. C’est pourquoi, malgré les efforts de quelques amis que j’ai en Prusse, en Autriche, en Angleterre et en Pologne, je n’arrive pas à la faire représenter une seconde fois. La censure est trop sévère. J’ai néanmoins l’espoir qu’avec quelques retouches on pourra la jouer à nouveau en Espagne. — Je m’occupe en ce moment d’une farce qui paraît aux éditions du Sultan de Turquie, sous le titre : La lutte grecque pour l’indépendance, par l’Auteur de la Révolution française.

Mort-aux-Rats. — Vos œuvres, que je connaissais déjà de longue date, sans savoir que vous en étiez l’auteur, ont indiscutablement quelque chose d’immense, Monsieur le Diable ! Mais vous prenez par trop de libertés avec l’unité