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LES SILÈNES
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pour l’innocence, 3 sous 1 liard en cuivre ;

pour la main blanche, 7.000 écus en or ;

pour la sensibilité et l’imagination, 1 pièce de 3 centimes par ironie ;

pour le silence qui sera gardé sur ses qualités morales, 11.000 écus en ducats couronnés de Hollande ;

cela fait ensemble 20.000 écus 3 sous 4 liards. J’en déduis 5 sous 2 liards pour l’intelligence. Reste 19.999 écus, 18 sous, 2 liards.

Du Val. — Tope, monsieur le collectionneur de fiancées et hannetons ! Quand toucherai-je l’argent ?

Le Diable. — Sur le champ ! Jurez-moi en échange d’attirer la Liddy demain dans sa petite maison du bois de Schallbrunn, d’empêcher ses domestiques de l’accompagner, et de ne pas vous enquérir de ceux qui là-bas raviront la jeune fille.

Du Val. — Je m’y engage, sauf à attirer moi-même la baronne à Schallbrunn, parce qu’on trouverait cela suspect de ma part. Je vous conseille de décider l’esthète Mort-aux-Rats à proposer à Liddy une promenade de ce côté ; il lit beaucoup les néo-romantiques et délire presque dans la maisonnette.

Le Diable. — Je vais essayer cela avec lui. Mais pour cette restriction, vous trouverez bon que j’acquitte la moitié de ma dette en papier-monnaie autrichien.

Du Val. — Hé, Monsieur, vous êtes un damné avare !

Le Diable (flatté et réjoui). — Oh ! je vous en prie, vous me faites rougir ! Je suis bien volontiers damné, bien volontiers avare, furieusement volontiers avare, mais pas encore assez, bien loin de là !

Il sort avec Du Val.